Arrière-plan

Le contexte numérique a modifié le rapport à l’information. Une masse inédite et continuellement croissante de contenus inonde désormais l’espace public. Elle bouleverse profondément les habitudes d’usage et de contact avec l’information, les savoirs et la connaissance (Liquète, Le Blanc, 2017). Tour à tour informatives, promotionnelles, ludiques, mais aussi manipulées, ces productions contribuent à brouiller la notion d’information vérifiée et équilibrée, utile pour construire une citoyenneté responsable. Elles plongent les publics dans un une insécurité médiatique et dans une insoutenable incertitude permanente.

À moins d’accepter le fait accompli, il y a urgence à élaborer des dispositifs d’alerte, de prévention et de précaution suffisamment aiguisés pour prémunir et sensibiliser les populations. Leur vigilance peut, en effet, être trompée par les assauts de la désinformation, de la mésinformation et de la fausse information allant jusqu’aux discours de haine ou aux développements complotistes.

Dans un monde de plus en plus connecté, donnant accès rapidement et sans filtre à des contenus dont souvent personne n’atteste de la réalité, c’est la notion même d’information qui se trouve menacée. Et, sans garde-fous, elle pourrait perdre tout simplement son sens et sa fonctionnalité.

Le Forum économique mondial de Davos, en janvier 2024, a cité dans son rapport annuel la désinformation comme l’un des risques majeurs de nos sociétés. Avec l’essor de l’intelligence artificielle et la multiplication des fake news, ce risque est identifié parmi « les plus grandes menaces pour l’humanité. »

L’éducation aux médias et à l’information (EMI) constitue une des stratégies clés de riposte. Conçue pour fournir des outils efficaces pour penser et affronter les médias de manière critique, la littérature la conçoit comme une « dynamique indispensable » (Rapport Bronner, 2022 ; Mission flash parlementaire, 2023 ; rapport de Davos, 2024; Rapport ARCOM).

L’UNESCO y perçoit un « ensemble de compétences interdépendantes qui aident les individus à maximiser les avantages et à minimiser les effets néfastes du numérique et de la communication. »  Pour elle, l’EMI déploie des compétences susceptibles de permettre aux individus, quels que soient leur âge et leur origine, de recourir à leur vigilance face à la masse d’information ou d’autres formes de contenus véhiculées par les médias, qu’ils soient traditionnels ou numériques.

Le Monde de l’ÉMI

L’éducation aux médias et à l’information, bien qu’identifiée comme mécanisme nécessaire pour une bonne appréhension des médias aujourd’hui, se répand diversement. On peut déjà apercevoir une esquisse de fracture entre « ceux dotés d’un “capital médiatique et numérique” suffisant et les autres » (Yanon, G et Barbey, F. 2023) ; mais aussi, en considérant la cadence de l’évolution ainsi que les nécessités des reconfigurations permanentes.

À un pôle, celui du Nord, l’EMI s’est installée et a atteint sa vitesse de croisière. Ainsi, a-t-on déjà pu l’insérer dans le système scolaire en Europe (Minkkinnen, 1978, Morsy, 1984). De même, plusieurs pays occidentaux (France, Belgique, Royaume-Uni, Finlande, Autriche, Canada, etc.) ont pu mettre en place des instruments pédagogiques publics (OIF, 2022.) tout en continuant, tantôt à interroger, tantôt à augmenter le périmètre de l’EMI : lutte contre la désinformation, approche critique des médias, lutte contre le cyberharcèlement, citoyenneté numérique, liberté d’expression, lutte contre les stéréotypes, bataille de l’attention, etc.

À l’autre pôle, dans le Sud, on en est encore à s’interroger, par exemple, sur « la capacité de l’éducation aux médias à amoindrir la fracture culturelle et à soutenir l’expression culturelle africaine comme moteur de développement à travers le numérique, en garantissant la participation citoyenne et démocratique des communautés. » (Yanon, G et Barbey, F. 2023.) Pourtant, plus qu’ailleurs, l’offre de la mauvaise information y est développée et la dystopie du numérique pressante.

Dans l’un et l’autre cas cependant, l’état de la question doit être établi aujourd’hui de manière à envisager des actions pratiques et appropriées à l’adaptation des contextes technologiques et aux conjonctures médiatiques.

Objectifs du colloque

L’objectif de ce colloque consacré à l’Éducation aux médias et à l’information consiste à créer une occasion élargie d’explorer les diverses facettes de la problématique. La rencontre propose de permettre aux participants de développer des outils de compréhension, mais surtout d’action concrète à expérimenter dans leurs institutions ou dans leurs milieux après avoir élaboré une compréhension contemporaine des enjeux, des réalités et des expériences dans la diversité des contextes principalement francophones, mais aussi dans d’autres cadres linguistiques.

Il y a lieu de relever, bien que l’Éducation aux médias soit un impératif pour tous les segments démographiques et sociographiques, une attention particulière à apporter aux jeunes publics, principaux consommateurs et intéressés aux longs termes des afflux numériques. Face au désordre de l’information, aux discours de la haine et de manipulation, aux campagnes conspirationnistes et aux buzz, ils apparaissent à la fois les plus exposés et les plus désarmés.

Il convient également de noter que ce colloque se situe à un moment particulier, croisement de trois événements d’envergure : le 19e sommet de la francophonie en France, les 100 ans de l’École de journalisme de Lille et les 30 ans du Réseau Théophraste, réseau des écoles francophones de journalisme.

Les communications attendues, issues de recherches, peuvent être des états des lieux et des tendances, des analyses, des expérimentations, des évaluations, des pistes de réflexion, des recommandations ou des perspectives relatives à l’EMI, principalement dans une approche en lien avec les stratégies de lutte contre la désinformation.

Axes thématiques

Les propositions élaborées dans le cadre du présent appel émanent de chercheurs et enseignants-chercheurs, voire de professionnels de la communication et du journalisme ou de tout autre spécialiste engagé dans le domaine et susceptible d’apporter un regard scientifique sur ces sujets. Ils devront aborder leur proposition de communication à travers l’un des 3 axes thématiques suivant :

Axe 1 : Le désordre de l’information

Dans cet axe, nous visons la collecte de données et des analyses sur la nature, la structure et les manifestations de la mésinformation, de la désinformation, de fausses nouvelles, des discours de nuisance et de manipulation ainsi que leur impact sur les publics. Il ne s’agit pas simplement d’en faire la comptabilité, mais de décrire les élaborations, les stratégies, les canaux et les modalités de mise en œuvre pour leur expression dans la sphère publique et leur appropriation ou leur consommation par des individus ou des groupes cibles, notyamment en prenant en compte les aspects particuliers, le cas échéant, de l’intelligence artificielle générative.

Axe 2 : Les enjeux et les modèles de l’éducation aux médias

De manière à faire face au désordre de l’information, quels sont les scénarios susceptibles de servir de bouclier ? Quelles sont les pratiques et les approches d’EMI, leurs performances, leurs tendances ? Comment et à quoi faut-il éduquer les cibles ? Les phénomènes observés de désinformation ont-ils contribué à enrichir voire modifier les approches d’EMI ? Quelles expérimentations et quels modèles ont pu donner des résultats tangibles et à quelles conditions ?  Comment pourrait-on les déployer à diverses échelles (régionale, nationale, internationale) ? Quelle convergence entre recherche et pratiques éducatives autour de l’EMI ? Comment déployer l’ÉMI à l’heure de l’intelligence artificielle ? Quelles synergies bâtir avec les méthodologies journalistiques de vérification des faits (fact-checking) notamment ? Un focus pourra être proposé sur la formation/sensibilisation des publics adultes.

Axe 3 : La formation à l’éducation aux médias

Dans cet axe, il nous intéresse de développer des compétences de déconstruction critique des médias, imaginer des mécanismes et des curricula pour se former en éducation aux médias à l’intention des journalistes, des enseignants, des personnels d’encadrement communautaires ; créer des outils d’EMI, des réseaux, des listes de ressources existantes en libre accès ; entreprendre des actions d’évaluation. Quelle place pour les écoles de journalisme ? Quelle articulation avec d’autres acteurs EMI (associations, éducation populaire, enseignants, etc.) ?

Modalités de soumission et de sélection

Les personnes intéressées devront transmettre leur proposition à Gervais Mbarga (gervais.mbarga@umoncton.ca), sous forme de fichier Word avant le 30 juillet 2024 :

  • Une proposition de communication de 650 mots qui indique clairement la ou les idées principales qui seront développées dans la communication, la problématique traitée, le cadre théorique de la réflexion proposée ainsi que la méthodologie employée pour l’analyse.
  • Une courte biographie comprenant prénom, nom, pays de résidence et nationalité, numéro de téléphone, adresse électronique, fonction, et, éventuellement laboratoire, université de rattachement

Les propositions seront sélectionnées sur la base des critères suivants :

  • Pertinence par rapport à la thématique principale et aux axes développés ;
  • Clarté et rigueur de la proposition en termes de rédaction et de méthodologie ;
  • Les contributions des chercheurs présenteront un cadre conceptuel, une approche méthodologique et des analyses qui s’appuient sur un corpus clairement délimité, y compris des données empiriques ;
  • Les travaux des praticiens développeront une réflexion à partir des actions ou expériences de terrain avec cependant des aspects descriptifs et analytiques.

Les propositions seront sélectionnées par le comité scientifique du Réseau Théophraste.

Bibliographie

– ARCOM, Rapport sur l’éducation aux médias et à l’information (exercice 2022-2023), https://www.arcom.fr/nos-ressources/etudes-et-donnees/mediatheque/rapport-sur-leducation-aux-medias-et-linformation-exercice-2022-2023, consulté le 4 avril 2024.

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Corroy L. (dir.), Éducation aux médias en Europe. Histoire, perspectives, enjeux, L’Harmattan, 2022.

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Colloque Théophraste –  Appel à communications, colloque international francophone

 

 

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