Dans le cadre de la célébration des soixante ans du Centre d’Études des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), la Revue Africaine de Communication (RAC) lance un appel à contributions pour un numéro spécial consacré à la thématique suivante :
« FABRIQUE D’OPINIONS, ÉMERGENCE D’ALTERNATIVES ENDOGÈNES ET CITOYENNETÉ EN AFRIQUE ».
La Revue Africaine de Communication (RAC) invite les chercheurs et professionnels de l’information et de la communication à se pencher sur la problématique de la fabrique de l’opinion et, celle connexe, de l’endogénéisation comme thématique de cristallisation, entre autres, de l’émergence d’un leadership de rupture porteur d’alternatives plurielles dont les médias sont à la fois acteurs et lieux d’expression.
A) – ARGUMENTAIRE
Il s’agit, dans ce travail de recherche, de s’interroger, au-delà l’apport spécifique des médias en tant que fabriques d’opinions, entre moult autres acteurs (partis politiques, institutions de recherche, ONG, associations de la Société civile, etc.) sur le processus global et historique qui a généré, au cours des dernières décennies, les grandes et multiples transformations enregistrées, çà et là, suite à des évolutions positives. La réflexion portera aussi sur les diverses formes qu’ont pu épouser les stratégies adaptatives en Afrique, au cours de crises profondes, sources de régression et de résilience ; en particulier, dans cette partie du sous-continent constituée par les pays qui ont en partage la langue française.
En effet, les premières décennies des indépendances africaines ont été marquées par une crise profonde et multiforme dont on peut chercher les origines, aussi bien dans des facteurs exogènes (échange inégal et modes d’accumulation du capital à l’échelle internationale) qu’endogènes
(mauvaise gouvernance, absence de démocratie et de transparence dans la gestion des affaires publiques, politiques et économiques).
Dans le sillage des pionniers comme René Dumont, auteur du célèbre pamphlet L’Afrique noires est mal partie (1962), des porteurs d’alternatives sont apparus dès le début de la décennie 1970-1980, pour placer la réflexion sur cette crise au cœur de la recherche-action. Et, ils ont ainsi établi un diagnostic sur ce phénomène endémique, dont le symptôme le plus visible serait l’affaiblissement de la capacité de négociation des États africains.
Les facettes de cette crise sont multiples ; et, tout aussi hideuses ses diverses manifestations que sont : la baisse généralisée de la productivité, l’exacerbation prononcée de la pauvreté et les convulsions sociales et politiques qui en découlèrent. Celles-ci sont accompagnées d’une situation tragiquement paradoxale aux contours divers : l’intenable marginalisation du continent africain, la détérioration des grands indicateurs macro-économiques, la désintégration des structures de production, la dégradation des infrastructures, etc.
Ces facteurs d’affadissement ont exacerbé la crise durant la période qui suit, correspondant à ce que d’aucuns appellent « les décennies perdues » pour l’Afrique. Ainsi, les trente ou quarante années précédant ce millénaire naissant sont marquées par les douloureux Programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions de Bretton Woods (le Fonds monétaire international et la Banque mondiale). Leurs effets sur la vie sociale et économique des communautés africaines ont été redoutables, de l’avis de nombreux observateurs avertis. L’économiste Samir Amin, père fondateur du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), par exemple, parlait de « quart-mondialisation » pour désigner du doigt cette crise multiforme dans laquelle le continent africain était englué au tournant des années 80, du fait de son alignement forcé sur le capitalisme mondialisé. Pour cet ancien directeur de l’Institut de développement des nations unies (IDEP), dont le Programme de formation pour l’environnement deviendra, en 1972, l’organisation ENDA Tiers-Monde, la crise a été un véritable « désastre économique et social », synonyme de la disparition de projets de développement propres, abandonnés au bon vouloir des bailleurs de fonds et aux aléas de la conjoncture.
Au tournant de l’année 1972, coïncidant avec la création de l’organisation ENDA Tiers-Monde et en écho au débat sur la « croissance zéro » autour de l’Appel de Menton, signé par 2200 scientifiques et intellectuels de très haut niveau et d’horizons divers, un mouvement d’idées, qui n’a pas laissé le CESTI en rade, est né à Dakar. Ses trois thématiques fondatrices, conçues
comme le trépied sur lequel repose le développement, se résumaient à la protection de la nature, la lutte contre la pauvreté et la promotion de la citoyenneté active.
À l’époque, on parlait au CESTI de « journalisme de développement », en écho à ce que les porteurs d’alternatives qualifiaient d’outil de citoyenneté et de moyen privilégié d’empowerment des communautés défavorisées par le renforcement de leurs capacités, c’est-à-dire d’instrument de mise en œuvre de leur autonomisation au moyen de logiques d’action sociale. De la sorte, des mutations systémiques, en somme, seront à l’origine de nouvelles visions du développement et de la citoyenneté. Ces alternatives sont, à peu ou prou, les fruits d’opinions de rupture fécondes, emblématiques des profonds bouleversements dans l’écosystème médiatique africain avec l’envahissement des médias sociaux, la montée en puissance de la désinformation ainsi que la percée des influences socioéconomiques et politiques.
En effet, la fabrique de l’opinion est un concept, dont l’origine remonte à une période lointaine (Blondiaux, 1998). Ce phénomène a réussi à se faire une place sur la scène politico-médiatique. Chomsky et Herman (2003) identifient les institutions, les lobbies, les multinationales et la presse, qu’ils qualifient de « quatrième pouvoir », comme les acteurs qui interviennent dans la chaîne de fabrication de l’opinion publique. De ce point de vue, la responsabilité de la presse dans la construction de l’opinion semble être mise en exergue du fait du caractère puissant de l’image, du son ou du texte.
L’analyse conceptuelle du terme « opinion » permet donc d’expliquer une certaine nuance, selon des auteurs tels que Pang et Lee (2008), qui considèrent l’opinion comme l’unité à laquelle il est possible d’attribuer une polarité négative ou positive, à l’opposé du « point de vue » ou du
« positionnement », qui reflètent un sentiment général qui se dégage. Cette précision met en lumière la complexité du niveau d’interprétation ou d’appréciation de ce concept. Habermas (1988) va plus loin en tentant de disséquer le qualificatif « publique » attribué à l’opinion. Selon lui, l’opinion publique, dans sa dimension « publique » précisément, présuppose l’émanation d’un public éclairé, déployé dans l’espace « public ». D’où l’importance de prendre en compte l’évolution de ce concept. Almeida (2009) explique ainsi le processus de formation et de transformation de l’opinion publique en montrant l’importance qu’y joue la perception pour comprendre les dynamiques conceptuelles. C’est à cet effet que certains outils de mesure sont mis en place. De ce fait, les techniques de sondage d’opinion proposaient des méthodes quantitatives pour représenter l’état de l’opinion publique à un moment donné (par exemple, sondage d’opinion préélectoral) et prétendaient contribuer à une meilleure connaissance de la société (Ramdani, Bourion, Slodzian, Valette, 2011).
De nos jours, avec la reconfiguration des écosystèmes médiatiques par le tout numérique et la tyrannie de l’« e-liberté », de l’« e-démocratie » et de l’« e-business » (Wolton, 2001), une nouvelle grille d’analyse des enjeux de la fabrique de l’opinion s’impose. La profusion des fausses informations, la numérisation de l’espace public, la montée en puissance de l’intelligence artificielle et la multiplicité des producteurs de l’information contraignent le chercheur à repenser la perception de l’opinion publique en tenant compte des implications associées. Cette émergence de nouveaux outils et formats médiatiques influe sur la construction des narrations et la perception des réalités dans l’espace public.
Ce présent appel à contributions invite, par conséquent, les chercheurs et les professionnels des médias et de la communication à partager leurs travaux scientifiques ou leur(s) vécu/pratiques en rapport avec l’impact des théories, des techniques et des moyens de l’information et de la communication revisités dans la construction de l’opinion.
En Afrique, quels sont les acteurs qui interviennent dans la fabrique de l’opinion ? Comment les médias contribuent-ils à la construction de l’opinion dans un contexte d’émergence et de diversification des supports d’information et de communication grâce au développement du numérique ?
Questionner la fabrique de l’opinion, au moment où l’on observe une percée de plus en plus remarquable des fausses informations, accentuée par la floraison des réseaux sociaux et autres plateformes numériques de diffusion, revient à mettre en exergue la nouvelle dynamique insufflée au secteur des médias et sa capacité renforcée d’influence.
B) – AXES DE REFLEXION
Les contributions attendues sur le thème de ce numéro spécial devront montrer l’extrême complexité de la problématique soulevée, mais aussi le caractère interconnecté de ses multiples axes de déclinaisons. Ce qui donne toute la mesure des défis et des enjeux de la nécessaire réflexion stratégique et plurielle sur la question ainsi que les évolutions sociétales et les transformations systématiques qu’elle implique. Il va sans dire que les projets alternatifs et les phénomènes d’endogénéisation, en tant que propositions d’une nouvelle gouvernance, demeurent les points d’ancrage. Ainsi, les possibilités d’inscrire sa contribution à ce numéro sont :
- Axe 1 : Les contextes et les dynamiques de transformation en lien avec les grandes thématiques du développement telles que la protection de la nature, la lutte contre la pauvreté et la promotion de la citoyenneté active ;
- Axe 2 : Le rôle catalyseur de certaines grandes institutions internationales et des organisations (nationales ou internationales) de la société dans le processus de maturation conceptuelle et la construction des alternatives et des projets endogènes ;
- Axe 3 : Les crises comme moments historiques de rupture et de manifestations des linéarités heurtées, mais aussi de régression démocratique et perte de souveraineté économique ;
- Axe 4 : La nécessité de revisiter les concepts d’« alternatives endogènes » et de
« citoyenneté de rupture » dans une perspective qui permette de les intégrer dans les approches de développement, mais aussi la pratique professionnelle, les curricula de formation en journalisme et communication, etc. avec comme nouveaux outils conceptuels l’approche systémique (Edgar Morin), la prospective stratégique, entre autres ;
- Axe 5 : Quels rôle et place pour la presse et la formation en journalisme et communication dans les processus et contextes transformationnels, les crises et les mutations systémiques au cours des 60 dernières années ?
Une seconde partie Varia, plus journalistique, car inscrite dans le mode de livraison des papiers, sera consacrée aux témoignages, portraits, analyses et autres commentaires et récits vécus sur la trajectoire du CESTI. Ces contributions journalistiques resteront doublement articulées aux thèmes de l’endogénéisation et de la citoyenneté alternative, nés d’opinions portées par des organisations, groupes et acteurs divers.
De plus, cette partie sera plus journalistique parce que dévolue au rôle du CESTI dans l’avènement de la nouvelle citoyenneté démocratique et des droits acquis, en termes de libertés d’expression et d’information en Afrique. L’institut de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui forme, depuis près de six décennies, des journalistes africains avant d’intégrer la communication en tant que discipline émergente dans ses curricula, a longtemps participé à ce processus comme cadre d’enseignement et de recherche universitaires, mais aussi, lieu de productions de savoir et d’expérimentation de la fabrique et de la diffusion d’opinions. Ce numéro de la RAC compte également célébrer ses 60 ans d’existence.
Cette lecture combinée de l’intitulé de notre thématique permet au contributeur de se positionner scientifiquement par rapport au thème de recherche et de proposer son vécu professionnel sur la question. Cela permettra ainsi de faciliter la compréhension globale de la thématique de ce numéro spécial.
C) MODALITÉS D’ENVOI DES PROPOSITIONS
Les propositions d’articles sous format Word, Book Antiqua 11, contiendront :
- Le nom et l’affiliation institutionnelle des (de l’)auteur(s) de la proposition ;
- L’axe auquel la proposition est rattachée ;
- Un titre en français et en anglais ;
- Un résumé en français et en anglais, d’environ 500 mots ;
- Des mots-clés en français et en anglais (5 mots, au plus) ;
- L’article entièrement rédigé ;
- Une
Les propositions d’articles seront envoyées simultanément, au plus tard le 31 août 2025, aux adresses suivantes : taphasene5531@gmail.com ; abdou4.diaw@ucad.edu.sn ; alioune1.dieng@ucad.edu.sn.
Nota Bene :
La politique éditoriale de la Revue Africaine de Communication (RAC) est téléchargeable sur le site : <rac.ucad.sn >.
D) DATES IMPORTANTES
- Lancement de l’appel à contributions : 31 Mars 2025
- Date limite de réception des contributions scientifique au plus tard le 31 août 2025
- Envoi des résultats des évaluations aux auteurs : 31 octobre 2025
- Renvoi des articles corrigés par les auteurs : au plus tard le 30 septembre 2025
- Publication du Numéro spécial, RAC, Nouvelle Série, 2025 : 31 décembre 2025
E) BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
ALMEIDA, Nicole (2009). L’opinion publique. Paris : CNRS Éditions https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.13801.
BLONDIAUX, Loïc, (1998). La Fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages.
Paris : Éditions Le Seuil. 601 p.
CHOMSKY, Noam ; S. HERMAN, Edward (2003). La fabrique de l’opinion publique. Paris : Éditions Serpent à plumes. 330 p.
HABERMAS, Jurgen (1988). L’Espace public. Paris : Édition Payot. 332 p.
EENSOO-RAMDANI, Egle ; BOURION, Evelyne ; SLODZIAN, Monique ; VALETTE,
Mathieu (2011). De la fouille de données à la fabrique de l’opinion. Enjeux épistémologiques et propositions. In Les Cahiers du numérique, 7 (2), 15-39. DOI : doi.org/10.3166/LCN.6.2.15-39.
PANG, Bo ; LEE, Lillian (2008). Opinion Mining and Sentiment Analysis. In Information Retrieval, 2, 1-135. https://doi.org/10.1561/1500000011.
WOLTON, Dominique (2001/2). La communication, un enjeu scientifique et politique majeur du XXIe siècle. In L’Année sociologique, vol. 51, 309-326.
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