Le colloque organisé par le réseau Théophraste sur « les journalistes dans le débat démocratique » se veut une occasion pour penser à partir de diverses perspectives et de contextes (nord-américain, européen, africain et arabe) les problématiques du rôle des journalistes dans l’espace public et leur place dans la société démocratique. Ces problématiques sont revisitées à partir des transformations en cours: transformations politiques (montée des populismes et des extrémismes, transitions politiques et démocratiques, etc.) et mutations de l’écosystème culturel (la place des médias sociaux et du numérique dans la vie sociale, les médias émergents, etc.).

On peut penser les rôles démocratiques des journalistes à partir de différentes perspectives théoriques (espace public, crise des institutions, économie politique, mutations culturelles et technologiques, pratiques novatrices, etc.). Cela permet d’interroger la place du journalisme, sinon des journalismes, à la lumière de ces multiples changements qui paraissent inédits tant ils sont à la fois politiques et culturels.

Ce colloque international se veut interdisciplinaire et convoque aussi bien théoriciens que praticiens.

Il sera consacré à des études de nature empirique ou théorique portant sur des questions relatives aux médias, aux journalistes et aux citoyens qui prennent part aux débats démocratiques, dans un contexte de transformations des plates-formes, de la montée en puissance de mouvements populistes et de mises en cause de la crédibilité, voire de la légitimité du journalisme.

Argumentaire

La problématique des médias, des journalistes et du débat démocratique n’est ni neuve ni inédite. Depuis que le philosophe allemand Jürgen Habermas a théorisé la question de l’espace public, des travaux et des recherches ont analysé le rôle des médias et des journalistes dans la construction et le fonctionnement de l’espace démocratique : les médias renforcent-il le débat démocratique ou au contrairement participent-ils à sa perversion et son détournement?

L’arrivée de l’internet a ravivé ce questionnement théorique. Le réseau des réseaux serait ainsi la source d’un renouvèlement de l’espace délibératif en favorisant une communication publique moins hiérarchique, plus démocratique et davantage favorable à l’expression des citoyens et à leur engagement dans les affaires publiques.

Plus récemment, le « Printemps arabe » a renforcé les espoirs d’une démocratisation qui pourrait advenir par le biais des médias sociaux, espaces de contestation, des pouvoirs autoritaires et de l’engagement des citoyens. L’internet et les médias sociaux seraient ainsi un espace alternatif des médias de masse ravis par les élites, pervertis par la marchandisation selon certains, et qui n’assurent plus leur rôle dans les démocraties (contre-pouvoir, sources d’information crédibles, les médias comme chiens de garde démocratique, etc.) et jouissant peu de la confiance des citoyens.

Les « journalistes citoyens », cette nouvelle catégorie de « journalistes » libérés des contraintes des journalistes professionnels, et de ses supposées tares, se présentent souvent comme des journalistes alternatifs assumant les fonctions abandonnées par les journalistes professionnels (adversité, information de proximité, enquête, etc.)

Cette problématique du rôle des médias et des journalistes dans le débat démocratique est aujourd’hui particulièrement repensée dans le contexte de l’impact de plus en plus important du numérique et des médias sociaux, en particulier sur la sphère politique et l’espace public, ainsi que sur les pratiques de consommation et d‘usage des médias.

Par ailleurs, la victoire de Donald Trump aux dernières élections présidentielles des États-Unis, ou encore la sortie de la grande Bretagne de l’Union européenne par référendum populaire (Brexit), tout comme la montée de mouvements populistes de droite, suscitent de nouveaux questionnements sur les rôles des médias et des journalistes face à l’impact des médias sociaux sur la communication politique.

Ainsi, des acteurs politiques accusent les médias de diffuser des fausses informations et de pratiquer la désinformation afin de les décrédibiliser et les délégitimer. Mais en même temps, ils utilisent eux-mêmes les fausses informations afin d’influencer les opinions publiques et les électeurs.

Consacré mot de l’année 2016 par le Dictionnaire britannique Oxford, la « post-vérité » résume cette bataille autour des faits et les enjeux politiques de la désinformation. Il incarne un des éléments de la crise de l’information, tout comme il affecte la crédibilité, voire la légitimité des journalistes.

Le phénomène de la désinformation (incluant les Fake-News), est un phénomène ancien aujourd’hui indissociable des médias sociaux et de leur rôle grandissant en tant que source d’informations. Sans avoir le même impact sur la vie politique qu’aux États-Unis et en Europe, le phénomène de la désinformation est aussi observable dans les pays du Sud, surtout dans ceux qui vivent des transitions politique et démocratique difficiles. Les médias sociaux y sont utilisés comme moyen d’influence politique, de manipulation des opinions publiques, d’atteinte à la légitimité des institutions, etc.

Dans ce contexte, les médias dits professionnels, seuls ou en coopération avec les acteurs de l’internet (Google, Facebook), ont développé diverses initiatives qui s’articulent autour de ce qui est appelé la vérification factuelle (Fact Checking). La vérification, la rigueur, le croisement des sources, principes fondamentaux du journalisme, sont réaffirmés en tant que fonctions capitales du journalisme, alors qu’explose le nombre de sources d’information, et que les journalistes et les médias sont appelés à travailler sous l’exigence de plus en plus contraignante de l’instantanéité.

Trois axes de réflexion :

Les contributions attendues peuvent porter sur les axes suivants :

Axe 1 – Les journalistes et les mutations de l’écosystème des médias

Les médias sociaux favorisent l’émergence de nouveaux acteurs (youtubeurs, blogueurs, etc.), de nouvelles formes de prises de parole et d‘organisations collectives, de consommation des médias et des informations et de productions (usagers générateurs de contenu, curateurs, etc.). Sans prétendre à l’exhaustivité, voici certaines pistes d’intérêt pour le colloque :

  • Comment les médias sociaux affectent-ils le rôle des médias en tant que plateforme de débat public des journalistes et en tant que producteurs et diffuseurs d’information ?
  • Dans certains pays, les médias sont confrontés aux mutations de leurs écosystèmes culturel et politique. Comment les transitions politiques, les guerres civiles et la montée du terrorisme affectent-elles la place des journalistes dans la société ?
  • Les transformations en cours de l’écosystème des médias et les nouvelles formes de journalisme impliquent-elles une transformation de l’éthique journalistique ?
  • La montée des populismes dans les sociétés démocratiques obligent-elles les journalistes à repenser ou modifier certains de leurs rôles historiques ?
  • Comment peut se pratiquer le journalisme alors que la vie politique est, semble-t-il, de plus en plus marquée par les émotions, le complotisme ou les théories de la conspiration ?
  • Comment former les journalistes à la complexité des algorithmes pour leur permettre de mieux maitriser cet « acteur » technologique inédit ?

Axe 2 – Nouvelles pratiques journalistiques

Les médias professionnels développent de nouvelles initiatives et de nouvelles formes de journalisme centrées pour la plupart autour de la vérification de l’information ainsi que de la rapidité de la production comme de la diffusion.

  • En quoi ces nouvelles pratiques instaurent-elles un nouveau modèle journalistique ?
  • La vérification factuelle plus intense peut-elle favoriser la légitimité du journalisme et des médias d’information ?
  • Dans quels domaines de la vie en société le journalisme de données peut-il produire des données probantes pertinentes à un débat démocratique de qualité ?

Axe 3 – L’irruption des publics

On ne peut parler de journalisme et de démocratie sans inclure un groupe d’acteurs incontournables que sont les publics et les citoyens qui les composent. Autrefois confinés au silence ayant une apparence de passivité, les voilà qui font irruption dans le débat démocratique à l’aide des médias sociaux et autres médias émergents. Ils y contestent aussi bien les institutions (médias, justice, formations politiques, parlements, etc.) que les individus (journalistes, hommes et femmes politiques, experts, intellectuels, etc.). Plus que jamais, le débat est animé par la triade médias/élus/citoyens dans des contextes démocratiques aux configurations multiples : traditions, institutions, conflits, extrémismes, etc.

  • Quelles formes discursives ou technologiques prennent les interventions des publics?
  • Comment réagissent les autres acteurs face à cette irruption critique des publics?
  • Quels types d’interventions citoyennes seraient les plus propices à favoriser le débat démocratique?
  • Comment aider les journalistes à participer au dialogue démocratique dans ce nouveau contexte?

Les propositions

Les propositions peuvent explorer des problématiques connexes aux questions soulevées plus haut. Elles peuvent être de nature théorique ou empirique, mais les enquêtes empiriques seront favorisées.

Elles peuvent être basées sur des études de cas, des recherches quantitatives ou qualitatives, des recherches comparatives, des enquêtes auprès de journalistes, d’acteurs politiques, de citoyens, etc.

Les chercheurs intéressés à participer à ce colloque international francophone doivent faire parvenir un résumé de 300 à 500 mots exposant leur problématique, leur méthodologie et, le cas échéant, les résultats anticipés.

Il faut faire parvenir le titre et le résumé de leur communication, avec Journalistes et débats démocratiques comme sujet du message, à l’attention de Marc-François Bernier (mbernier@uottawa.ca ), président du comité scientifique du Réseau Théophraste, avant le 15 mai 2017.

Une réponse sera donnée au plus tard le 1er juillet 2017 par le comité scientifique, après un processus d’évaluation en double aveugle.

Veuillez indiquer votre nom et vos références (affiliation, université ou institution, adresse électronique, numéro de téléphone et titre de communication) dans le corps de votre message.

Pin It on Pinterest

Share This